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Maintenant que l'Europe est présente sur la Station spatiale avec
le laboratoire scientifique
et l',
les activités européennes de vols habités sont entrées dans une
ère nouvelle. Alors, quelle suite donner à ces 2 programmes emblématiques
? A quelques mois de la Conférence ministérielle
de l'ESA, se pose la question de doter l'Europe d'une capacité
de transport spatial habité.
Très clairement nous disons NON et nous expliquons
pourquoi.
Schéma actuel
Le programme de la est à un tournant de son histoire. Aujourd'hui, seuls
les Japonais et les Européens ont réfléchi à une utilisation scientifique
de la Station. Les Russes sont bien plus préoccupés par l'avenir
de leurs lanceurs (modernisation, évolution et nouveau lanceur).
Quant aux Américains, ils ont tout simplement annoncé que la Station
n'était plus leur priorité. En 2015, ils viseront la Lune et s'en
désengageront.
Aujourd'hui, l'Europe est copropriétaire de la Station à hauteur
de 15%. En échange de cette contribution, un astronaute de l'ESA
peut séjourner à bord pour une mission de longue durée par an.
Toute la question est de savoir comment on organise son transfert
entre la Terre et la Station. Or, dans ce schéma, il
n'est pas justifié de développer un véhicule habité
pour envoyer cette seule personne dans l'espace. Cela ne se justifie
pas par un besoin technologique ou scientifique et ca n'a aucun
sens économique.
Il est important de comprendre que cet
article se base sur la situation actuelle. Or, avec
le retrait des Américains, se pose la question de l'avenir de
la Station et de sa desserte. Les 3 scénarios qui se dessinent
aujourd'hui nécessiteront évidemment une approche différente de
celle d'aujourd'hui. C'est seulement en 2012 que l'on y verra
plus clair.
- Soit on la désorbite ;
- Soit on la coupe en 2. On désorbite la partie américaine et
on intègre à la partie russe un nœud de jonction, Columbus et
la coupole ;
- On garde la Station en l'état et l'Agence spatiale européenne
partage avec les partenaires restants les charges qui incombent
aujourd'hui à la NASA.
La Session 2008 du Conseil de l'ESA au
niveau ministériel
Concernant le volet transport spatial habité, l'ESA va très certainement
décider de financer quelques études exploratoires, voire des démonstrateurs
de façon à faire la liaison jusqu'en 2012 année charnière pour
le programme des vols habités : La question sera : un véhicule
habité oui, mais pour aller
?
Capacités européennes
En matière de vol habité, l'Europe a acquis ces dernières années
une certaine expérience. Pour Jean-Jacques Dordain, Directeur
général de l'ESA, 'l'amarrage de l'ATV et l'intégration
de Columbus à la Station constituent une démonstration spectaculaire
des capacités de l'Europe sur la scène de l'exploration spatiale
internationale'.
Bien que le projet d'avion spatial Hermes ait été abandonné en
1992, l'Europe ne part pas de zéro. Loin s'en faut. Depuis 1992,
des études exploratoires ont continué d'être menées et certaines
d'entre elles ont débouché sur des projets concrets, comme par
exemple le démonstrateur de rentrée atmosphérique ARD, lancé en
octobre 1998, la participation de l'ESA au programme X-38 de la
NASA, le projet Phoenix qui en 2004 a exploré les phases critiques
du lancement et de l'atterrissage ou encore l'aventure Huygens.
L'ARD, que l'on peut qualifier de mission 'low cost' a surtout
été une démonstration de ce que l'on sait faire avec une technologie
plutôt ancienne. La démonstration résidait plus dans la précision
du guidage de la rentrée que dans les technologies de bouclier
ablatif qui n'avaient rien d'innovant.
Quant au X-38, il s'agissait d'un démonstrateur qui devait préfigurer
le véhicule de secours des équipages (CRV) de l'ISS. Bien qu'abandonné
en 2001 par la NASA, l'ESA était impliquée notamment dans la conception
du nez.
Mais c'est surtout, la formidable descente de Huygens dans l'atmosphère
de Titan et son atterrissage sur sa surface qui a démontré les
capacités de l'Europe à concevoir un bouclier thermique capable
de s'affranchir des conditions propres à une atmosphère, en l'occurrence
celle de Titan. Bien que cette atmosphère ne soit pas représentative
de celle de la Terre, Huygens a ouvert la voie à la maitrise des
technologies de rentrée atmosphérique qui seront définitivement
acquises avec les démonstrateurs comme Pre-X qui vise à la maîtrise
de la rentrée atmosphérique planée (2009) et une meilleure connaissance
sur les matériaux les plus récents utilisés pour les boucliers
de rentrée (C-C et C-SiC). La technologie existe en France et
en Allemagne, mais à proprement parler l'Europe ne l'a pas réellement
démontrée en vol.
Rampe de lancement historique
Avec le programme ATV, qui a permis des avancées importantes,
l'Europe a une rampe de lancement que l'on peut qualifier d'historique
pour se lancer dans la conception d'un système de transport spatial
habité dans les meilleures conditions. Jean-François Clervoy,
Senior Advisor Astronaut sur le projet ATV : 'l'ATV est
l'engin le plus complexe jamais construit en Europe. Il répond
à des normes de sécurités que l'on impose aux vols habités alors
qu'il s'agit d'un véhicule entièrement automatique'. Enfin,
et paramètre non des moindres, la plupart des équipes de ces programmes
sont encore en place.
Autrement dit, pour Christophe Bonnal, Expert senior à
la direction des lanceurs du CNES : 'l'Europe est tout à
fait capable de développer son propre système de transport spatial',
il existe aujourd'hui aucune barrière technologique pour empêcher
son développement dans des délais raisonnables. 'Il pourrait
être fait entre 5 et 10 ans'.
Pas de besoin scientifique et/ou technologique
Dans le schéma actuel, si l'ESA veut envoyer ses astronautes,
elle a tous les moyens pour le faire. Entre les navettes (puis
Orion) et les capsules Soyouz ce n'est pas le choix qui manque.
Les 15 à 20 millions d'euros que coûte une place sur un Soyouz
sont une somme négligeable au regard des 2 à 3 mds d'euros envisagés
pour un système européen. Alors pourquoi développer un système
pour faire la même chose ?
A moins d'avoir un problème majeur entre la Russie et les Etats-Unis
(et en même temps !), la capacité européenne d'envoyer ses astronautes
dans l'espace n'est pas menacée. On est loin du contexte qui avait
conduit l'Europe, sous l'impulsion de la France et de l'Allemagne,
a démarré le programme Ariane en 1973. Souvenez, le lancement
du satcom Symphonie par les Etats-Unis était conditionné à la
signature d'une clause de non concurrence envers l'américain Intelsat.
Une coopération internationale n'est également pas envisageable
car si l'Europe a un besoin d'autonomie, ça n'a aucun sens d'en
développer un en coopération avec la Russie, le Japon ou la Chine.
Les Etats-Unis ont très clairement dit que leur système futur,
basé sur les lanceurs Ares et les capsules Orion se ferait sans
coopération internationale. C'est également la voie choisie par
la Chine qui aurait très bien pu s'associer à la Russie ou l'Inde
mais qui pour une question de prestige national a décidé d'y aller
seule.
Démonstrateurs
Autre bémol, le budget de l'ESA dédié aux vols habités est de
6 à 13 fois inférieur à celui de la NASA selon que l'on intègre
le civil et/ou le militaire. Autrement dit, l'Europe a bien mieux
à faire de cet argent. Il serait plus bien plus pragmatique et
préférable de faire des démonstrateurs de technologies avancées
pour que cela serve à Ariane ou aux futurs missions d'explorations
robotiques du Système Solaire qui s'annoncent plus ambitieuses
et de fort tonnage. Une ambition qui nécessitera un très haut
niveau d'autonomie, d'intelligence artificielle et capable d'aller
et faire des choses impossibles aujourd'hui :
- Forer les surfaces sur plusieurs mètres ;
- Atteindre l'océan d'Europe ;
- Atteindre des sites martiens accidentés et se déplacer toujours
plus vite ;
- Atterrir sur Vénus et rester opérationnel quelques jours ;
- Evoluer dans les atmosphères martiennes, vénusiennes ou celle
de Titan ;
- Récupérer des échantillons d'astéroïdes de comètes, des geysers
d'Encelade ;
- ... .
Concernant la filière Ariane, les idées ne manquent pas pour préparer
son avenir de façon à réduire le coût de l'accès à l'espace, pérenniser
l'activité d'Arianespace et conforter sa place de numéro 1 sur
le marché des lancements commerciaux. Pour Christophe Bonnal
qui planche sur les évolutions possibles de l'Ariane 5 ou son
successeur, la mise au point de ces solutions du futures nécessitera
'Des démonstrateurs de propulsions nouvelles, des technologies
de rentrées atmosphériques, des composants de prochaines générations'.
Cependant, il faut compter avec les industriels européens qui,
bien évidemment, ont une tout autre approche de la question. Pour
Astrium, Thales Alenia Space et les autres acteurs du secteur,
la préférence va vers un moyen européen autonome d'accès à l'ISS,
à défaut, ils se rabattraient vers , dont la conception modulaire a largement
été soulignée lors du lancement, vers un véhicule de transfert
d'équipages, par exemple.
François Auque, PDG d',
a très clairement indiqué la voie dans laquelle il souhaite s'engager.
'Ce troisième succès n'est qu'une nouvelle étape. L'arrimage
du Jules Verne ouvre la voie vers de futures adaptations du produit
ATV. La conception de l'ATV permet d'envisager des évolutions
d'utilisation comme la capacité de ramener sur Terre des expériences,
des équipements ou des personnes'. Ajoutant, ' Il est de la plus
haute importance que le développement de tels systèmes constitue
l'un des points forts de la prochaine conférence ministérielle
de l'ESA qui se tiendra d'ici à la fin de l'année 2008'.
Du côté de , la position est similaire. Les Italiens de TAS,
fort des 3 modules logistiques polyvalents MPLM, de la coupole
et des structures pressurisées du laboratoire Colombus et de l'ATV,
planchent également sur des concepts évolués de l'ATV.
Trains spatiaux
Une des aspects les moins connus de l'utilisation humaine de l'espace
concerne le retour d'orbite de tout ou partie d'une charge utile.
Aujourd'hui, les capacités européennes sont nulles. Seules les
navettes et les capsules Soyouz et dans une moindre mesure les
Foton sont capables de redescendre sur Terre des expériences ayant
séjourné dans l'espace.
Cet aspect de l'utilisation de l'espace est appelé à se développer.
Il serait intéressant pour l'Europe de se positionner sur ce segment
en développant des capacités telles que la maîtrise de la transition
orbite / atmosphère, la rentrée planée ou les protections thermiques
chaudes pour maîtriser le retour des hommes et du matériel. Cette
étape serait un tremplin idéal pour le développement de 'trains
spatiaux' qui préfigurent l'exploration humaine et robotique de
la décennie prochaine et qui passe par le développement de systèmes
capables, de revenir sur Terre, de pénétrer dans d'autres atmosphères,
d'effectuer des rendez-vous, des manœuvres en orbite terrestre
et autres orbites, des systèmes de services en orbite et de stockage
en orbite.
Les relations entre l'ESA et l'Union
européenne
On assiste depuis quelques années un rapprochement entre l'Agence
spatiale européenne et la Commission Européenne sur les grands
projets comme
ou
qui soit dit passant n'auraient pas été possibles sans cela.
Or, à une époque où de nouvelles puissances affichent des ambitions
et des capacités élevées en matière spatiale, l'Europe ne peut
pas se permettre de négliger les avantages économiques et stratégiques
de l'espace pour ses citoyens. Elle se doit de se garantir un
accès autonome à l'espace. Pour l'Union Européenne, cet
'accès indépendant et rentable à l'espace reste un objectif
stratégique pour l'Europe'. En affirmant cela, l'Union
Européenne jette les bases d'une politique spatiale européenne
globale qui ne pourra pas faire l'économie d'un débat sur la place
de l'homme dans l'espace.
Pour Henri Revol, sénateur français 'à long terme,
l'intérêt n'est pas la présence de l'homme en orbite terrestre.
L'homme dans l'espace n'a vraiment de sens que pour l'exploration
des autres planètes'. Autrement dit, il convient dès à
présent de réfléchir à ce qui suivra la Station spatiale internationale,
à partir de 2015 et d'envisager de doter l'Europe d'une capacité
de transport spatial habité mais seulement à l'horizon 2025 /
2030.
Partant de ce point de vue, il sera intéressant d'analyser a position
de l'Union Européenne lors de la Conférence ministérielle
de l'ESA en fin d'année.
Mais là aussi rien n'est simple. On a pu s'en rendre compte avec
les marchandages autour du programme Galileo.
Les périmètres d'action des deux organisations ne sont pas identiques
(ce qui peut être réglé par des accords bilatéraux) mais surtout,
il faut prendre en compte le devenir des agences nationales (principalement
CNES, DLR et ASI). Quand l'Esa a été créée, il n'y avait pas d'Union
européenne, pas d'industrie spatiale, pas d'euro.
Pour Jacques Blamont, s'exprimant dans le mensuel français
La Recherche : 'C'est donc aujourd'hui une institution non
adaptée à la situation politique actuelle. Il faut inventer une
nouvelle structure ayant des liens institutionnels adéquats avec
le conseil d'une part et la Commission de l'autre. La future agence
doit être le bras séculier de l'exécutif, comme la NASA aux Etats-Unis,
JAXA au Japon ou ISRO en Inde. Et les agences nationales devraient
être refondues à l'intérieur de cette nouvelle structure'.
Explications
Certains Etats membres de l'ESA ne font pas partie de l'Union
Européenne (la Norvège et la Suisse par exemple). Or, l'ESA fonctionne
sur la base d'un 'retour géographique', ce qui signifie qu'elle
investit dans chaque État membre, sous forme de contrats attribués
à son industrie pour la réalisation d'activités spatiales, un
montant équivalant à peu près à la contribution de ce pays. 'Aussi
performante soit-elle, l'ESA - par la nature même de ses statuts
et de son histoire - est une agence intergouvernementale',
explique M. Poncelet, 'ce qui signifie qu'elle ne
bénéficie pas d'une délégation de pouvoir de ses états membres.
Nous ne pouvons donc faire que ce que ces derniers nous autorisent
ou nous demandent de faire. Au contraire, la création de l'Union
Européenne répond notamment à une volonté de supranationalité
qui a été instaurée par un traité. Les institutions de l'UE peuvent
prendre des décisions d'une manière autonome sans consulter à
chaque fois les états membres, tout en agissant en leur nom'.
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